Marzo 22, 2000: Diario Las Américas, Miami, FL
Marzo 23, 2000: Newsgroups soc.culture.cuba, fr.soc.religion, fr.soc.politique, qc.politique
Demande de pardon qui n’a pas
eu lieu: la collaboration ecclésiastique avec le communisme
par Armando Valladares
Dans les demandes de pardon récentes de S.S. Jean-Paul II et de différents cardinaux pour ce qu’ils considèrent comme des péchés passés et présents des fils de l’Eglise, il ne m’a pas été possible de trouver la moindre référence à la complicité - par action ou par omission - de nombreux ecclésiastiques avec le communisme à Cuba, et dans d’autres pays du monde, durant les dernières décennies; ni aux dévastations causées dans le troupeau catholique par les "théologiens de la libération" d’inspiration marxiste.
La constatation de cette absence colossale m’a rempli de perplexité et même d’angoisse. En effet, s’il s’agit d’identifier et d’admettre des fautes, peu de faits au XXe siècle auront été aussi graves que cette collaboration ecclésiastique avec une idéologie "intrinsèquement perverse", responsable du massacre de 100 millions de personnes. Si ce fait est bien réel – j’aimerais tant être démenti, non par des imprécations, mais de façon sérieuse et documentée! – comment alors expliquer cette omission ?
En ce qui concerne Cuba, me reviennent à la mémoire comme un défilé de cauchemars : l’appui public donné à Castro en 1971 par le cardinal Silva Henriquez et les "chrétiens pour le socialisme" au Chili, alors que le dictateur cubain parcourait ce pays sous le régime du socialiste Salvador Allende ; les déclarations faites à Cuba, en 1974, par Mgr Agostino Casaroli, artisan de "l’ostpolitik" du Vatican, alors Secrétaire du Conseil des affaires publiques du Saint-Siège et ensuite Secrétaire d’Etat, déclarations selon lesquelles: "les catholiques qui vivent sur l’île sont heureux dans le système socialiste", et que "en général, le peuple cubain n’a pas la moindre difficulté avec le gouvernement socialiste", niant ainsi les évidences historiques ; les déclarations faites à Cuba en 1989 par le cardinal Roger Etchegaray – alors président de la Commission pontificale Justice et Paix et aujourd’hui président du Comité central du Jubilé de l’an 2000 – selon lesquelles "l’Eglise du silence" n’existait plus dans l’Ile-prison ; également en 1989, la lettre du cardinal Paulo Evaristo Arns, de Sao Paulo (Brésil), qui s’adressait à son "très cher Fidel" et dans laquelle il affirmait que les "conquêtes de la révolution" ne représentaient rien moins que "les signes du Royaume de Dieu" ; enfin les déclarations, si souvent répétées au long des dernières décennies, du cardinal Ortega y Alamino, archevêque de La Havane, en faveur d’un dialogue et d’une collaboration avec le régime communiste.
D’autres en ont dit encore bien davantage – et de façon documentée – sur la collaboration de tous ces ecclésiastiques du continent américain avec le communisme cubain! A la veille de la 27e Réunion interaméricaine des évêques, qui a eu lieu sur l’Ile-prison du 14 au 16 février 1999, dans une lettre ouverte aux dirigeants du CELAM et des conférences épiscopales des Etats-Unis et du Canada, j’ai eu l’occasion d’affirmer, et aujourd’hui je le répète : la dictature communiste et le martyre du peuple cubain n’auraient pu se prolonger que difficilement sur toutes ces décennies sans le silence, la partialité et même la complaisance de nombreuses figures ecclésiastiques d’Amérique ; attitudes qui n’ont cessé depuis le commencement de la révolution communiste à Cuba jusqu’à aujourd’hui. (cf. Diario las Americas, Miami, 31 janvier 1999).
Je me permettrai d’ajouter – haussant le sujet à un plan universel qui inclut le problème cubain mais qui le transcende largement – un fait qui, après tout ce temps, est réellement saisissant: le refus du Concile Vatican II de condamner le communisme malgré la demande solennelle signée par 456 Pères conciliaires de 86 pays. Durant les sessions, le cardinal Antonio Bacci avait alerté les membres du Concile sur l’impérieuse nécessité d’une condamnation explicite du communisme : "Toutes les fois qu’un concile œcuménique s’est réuni, ce fut pour résoudre les grands problèmes qui agitaient l’époque et pour en condamner les erreurs. Je crois que faire silence sur ce point serait une lacune impardonnable, et même un péché collectif. C’est la grande hérésie théorique et pratique de notre temps, et si le Concile ne s’occupe pas d’elle, il pourra paraître comme un concile qui a échoué !" (Acta Synodalia, vol. IV, part. II, p. 669-670). En effet, analyser les problèmes contemporains des catholiques sans aucune référence au communisme – adversaire opposé en tout à sa doctrine, puissant, brutal, astucieux, comme jamais l’Eglise n’en a rencontré au long de son histoire – c’était comme réunir un congrès mondial de médecins pour étudier les principales maladies actuelles sans se référer au sida...
Pour toutes ces attitudes lamentables, prises par tant de fils notables de l’Eglise, il n’y a pas eu de demande de pardon explicite. Je le regrette profondément en tant que catholique, en tant que Cubain et en tant qu’une des innombrables victimes.
Ma perplexité et mes critiques sur les récentes cérémonies de demande de pardon me semblent partagées. A travers diverses déclarations, des autorités ecclésiastiques et des intellectuels catholiques ont manifesté leurs doutes et même leurs désaccords sur des aspects essentiels de ces cérémonies, avant même qu’elles aient lieu il y a quelques jours. De toute façon, qu’il me soit permis de répéter ce que j’exprimais aux prélats interaméricains réunis à La Havane en 1999, à propos du droit d’un catholique de manifester filialement son point de vue sur des thèmes aussi délicats : l’Eglise n’a jamais été, l’Eglise n’est pas et l’Eglise ne sera jamais une prison pour la conscience de ses fils. C’est pourquoi j’ai la certitude que l’on saura comprendre le respectueux commentaire d’un fidèle catholique cubain qui, dans les cachots castristes, implora la Vierge patronne de Cuba de repousser – même au prix de sa vie – la moindre forme d’acceptation de cette néfaste révolution cubaine et le moindre rapprochement avec ce régime, en me basant sur la doctrine traditionnelle de l’Eglise qui condamne le communisme comme "intrinsèquement pervers" et considère comme "inadmissible la collaboration avec le communisme en quelque domaine que ce soit" (Pie XI, Divini Redemptoris).
Armando Valladares, ancien prisonnier politique cubain, auteur du livre "Contre toute espérance" et ancien ambassadeur des Etats-Unis auprès de la Commission des droits de l’homme de l’ONU, à Genève. Tel.: (305) 3083573 Miami FL